O folie, ma sœur, mon amante,

c'est dans ton giron nourricier que j'ai palpé le soleil, enlisé, dévoré par tes cuisses.

C'est dans ton miroir aiguisé que j'ai vu des ciels de mercure, des étoiles fourchues

et des nuits de poignards étincelants.

O folie, citadelle, c'est dans tes corridors que j'ai glané l'œillet

et la rose jumelle qui féconde l'ange estropié.

Soleil somnambule tétant à la lune frigide la grêle et la rosée,

j'ai sucé le sable de ton sein, ma main dans ta huche, j'ai pétri ta rose.

O folie, belle comme un meurtre dont l'assassin serait le printemps.

O folie, ruche alchimique où se mêlent la rosée née de la sueur,

le noir pestilentiel des étables entrouvertes,

l'ocre du sentier de paille étoilé, les sanglants barbelés,

les vipères océaniques, l'orgeat des oasis, le chiffre tatoué,

la négritude sacrée des dieux et les orvets mordorés.

Où se mêlent les rosaces de givre, la jonque cavalière,

l'encens, le talc et tous les pollens du savoir,

la soie blanche des culottes parfumées, les têtes éclatées,

l'élégance des choses, la liturgie des masses,

l'eau noire d'un soleil fondu là-bas,

l'or des chaumes ici, le dialecte des horloges,

les haillons lourds de croûtons, les dents arrachées,

les regards élimés et le chant des poulies au vent levant.

Où se mêlent le pain d'épices blond de giboulées,

les hiboux aux yeux d'or, le limon des douleurs,

les petits soleils de peu de mémoire,

les jeunes pucelles enceintes d'azur et d'ailes de papillons,

les femmes bûcherons, les femmes cuites de tristesse

et toutes les famines à venir.

Mais pareille aux dahlias dans le typhon des massacres,

elle demeure et résiste, la folie d'aimer.

Vibrillonnante dans les branches d'althéa,

frémissante dans la haie de peupliers,

mantille embrasée d’un soleil fondu d’étoiles jaunes décousues.

Oui, elle s'extirpe de la forge où palpite la couleur,

mais l'on n'écrit trop souvent que l'entre deux car la mort nous laboure

et combien la folie d'aimer s'épouse à la barbarie,

pour ceux qui de désir en désir changent de mort,

pour les trafiquants d'abîmes et de petits volcans.

Oui , la folie d'aimer s'épousaille à l'horreur,

quand résonnent les piétinements dans le mouroir,

quand la détresse se glisse en bouquet sous la porte,

quand le mieux que rien devient le pire que tout,

quand la douleur tisse les venelles par où se hissent les arbres cousus de pansements,

quand une morsure de larme sur le visage de l'enfant

se confond avec le soleil en gousses d'or sur les immondices,

quand des carmélites sans vergogne pillent le deuil,

la mémoire et la tombe à jamais ouverte d'Auschwitz.




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