J'écris, esquif, j'ose,

pendant que la rose s'engorge de nuit et s'écroule de rouge,

que des amants se fougèrent,

que des passants tatoués de grelots traversent mon asile,

qu'il y a cette fêlure par où se faufilent et m'envahissent le santal, la mauve

et une rafale de crachats bleus,

tout alors est musique, c'est à dire silences agencés,

arôme, cantate, pavane, je suis à l'écoute de se qui me traverse et me trame,

les mots affluent et je saigne.

J'écris, non je transcris ce que me dictent les morts qui me hantent, mes anges.

Surgissante, ivre comme lave, la douleur immortelle, vigie de l'ombre,

me renvoie la parole de l'ange:

"qui t'a donné l'ordre de fleurir, quand l'heure est à la famine?"

à voix basse, je réponds: le poète, celui dont l'haleine te parfume.

A la mesure de ma mémoire et ma mémoire est très ancienne,

il ne s'agit pas uniquement de la mémoire de mon corps,

mille corps sont en mon corps et je vis debout, en avalanche,

le tesson de la mort bien calé au creux du front .

À jamais les Immortels parlent, ils me disent,

- Une étoile fertile nous gémit dans chaque oeil et souffre à chacun de nos pas.

- Ifs noirs, à leurs cimes crépitent les étoiles, ainsi la lune s'abreuve de flammes

et s'ensommeille, puis à l'aube elle se réveille soleil. Mais par une nuit d'usines sales, je ne l'ai plus revue, c'était une lune à Auschwitz.

- Les ciboires sont en friches, au fil de l'épée saigne la glycine, reste la vendange des roses pour croire l'amour comestible.

- Le cratère de l'aube déborde de la fonte blonde des chairs. Il faut dépecer le sommeil jusqu'au silex, d'écorcer la pensée pour ne pas se venger.

- J'ai sucé le sable de ton sein pour étancher mon destin.




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