LEPOWEB



EROS




Vulvegaire rencontre.


La journée fut plaisante, les gens polis et serviables. Le buffet succulent et le colloque passionnant -Borges, métapsychologie et poésie-. Mais Marilou sous les coups de 5 heures de l’après-midi, senti monter en elle une immense lassitude. Tous ces discours, toute cette science, tout ce décorticage de la pensée d’un écrivain, certes talentueux, parfois génial, mais quand même très abstrait, trop loin des réalités et des misères de ce foutu monde, faisaient naître comme un sentiment d’aveuglement, comme si le fait de parler d’un créateur aveugle rendait ses commentateurs aveugles aussi. Tout cela manquait de chair, de sueur, de larmes. Une beauté pure, une intelligence pure, splendide et isolée et qui ne peut résonner que dans des salons feutrés enrubannés de velours et de dorures, elle en eut soudain la nausée.

C’était à présent l’heure du cocktail, et l’ensemble des initiés se précipitaient au bar, l’air détaché mais néanmoins pressés, tous ces purs esprits, malgré tout habitaient encore des corps. Quelqu’un dans la précipitation frôla Marilou qui remarqua aussitôt une chevelure superbe, noire et brillante, rassemblée en une magnifique queue de cheval nouée par un petit foulard rouge. De dos, elle eut un doute, un homme, une femme ? . Elle s’approcha, c’était un homme. La trentaine, la peau mate, le regard sombre, le front large, le nez d’une ligne douce et une bouche parfaitement dessinée et sensuelle. Un charme étrange se dégageait de ce visage sombre et calme à la fois. Il ne ressemblait à aucun des participants et semblait ne connaître personne.

Je vous ai bousculé, excusez-moi, dit-il en dévisageant Marilou.

Marilou lui répondit que ce n’était rien et c’est ainsi qu’ils firent connaissance. Il était l’un des traducteurs du colloque. Sa voix chaude et claire accentuait son charme. Au bout de quelques minutes il avoua à Marilou qu’il s’était rarement autant ennuyé et qu’il était content que cela se termine. Marilou lui fit part de son semblable sentiment.

Partons d’ici, voulez-vous, laissons tous ces crânes d’œuf se masturber l’esprit entre eux ?

Marilou fût tout d’abord déconcertée par ces propos, mais acquiesça et discrètement ils s’éclipsèrent.

Il l’invita à venir prendre un thé chez lui. Sans vraiment réfléchir elle accepta. Elle ne l’écoutait pas, elle était comme fascinée par ses cheveux, se bouche et à présent par la grâce de ses grandes mains.

Le studio n’était pas grand et avec très peu de meubles, juste le nécessaire dans une seule pièce.

Je voyage beaucoup pour mon travail et je n’ai pas le temps de m’installer, dit-il en préparant le thé.

Marilou s’installa dans un vieux fauteuil et le regardant, elle ne pouvait plus détacher son regard de ce visage inconnu. Elle fut néanmoins surprise par le changement de langage qu’il employait au fur et à mesure de la conversation.

Je me suis rarement autant fait chier qu’aujourd’hui. Tous ces intellos qui se prennent pas pour de la merde, vraiment ça me fout les boules et en plus traduire leurs conneries toute la journée, vous pouvez pas savoir, quelle chierie !

Comme c’est étrange, se dit-elle, si beau et parlant si bien il y a une heure à peine et à présent ce langage de charretier. Ce doit être la tension nerveuse, il décompresse, traduire c’est épuisant. Elle trouvait ça étrange mais en même temps cela excitait sa curiosité car paradoxalement ses mots grossiers accentuaient son charme.

Vous avez l’air choquée !

Non, non, étonnée que vous puissiez ainsi changer si rapidement de manière de parler.

Oui, je sais, mais vous savez, passer toute la journée à écouter des pseudo- intellos se lancer dans des démonstrations alambiquées, à la fin de la journée j’en peux plus. Il faut que je me débarrasse des subjonctifs imparfaits et autres concepts elliptiques réservés à cette foutue élite satisfaite d’elle-même. Alors quand ça se termine, je me laisse aller, je deviens bestial, au sens figuré bien sûr, je sais c’est bizarre mais c’est comme ça, il faut que je me vide l’esprit. Vous savez, escalader à longueur de journée les sommets de la culture, c’est éreintant, alors traîner un peu dans le caniveau, c’est une image, ça fait pas de mal ! .

Oui, bien sûr, je comprends très bien, j’ai parfois le même réflexe, répondit Marilou.


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