LEPOWEB


NUIT

 

Bien sûr il y a un lien de la fange à l'orchidée,

mais c'est si long, si loin, si cruel.

De tristes dévastations m'ordonnent l'exil.

Où vas-tu? Je suis là où l'encre luit

jardinier sans terre ni fleurs, pirate sans mer ni voiles

ma demeure, un bivouac aux briques d'azur.

Crois-tu? Non, seule la vérité ment, je ne suis pas la vérité.

Que fais-tu? Des livres endormis j'en mords le silence,

j'en bois le sang.

Que dis-tu? Si peu,

qu'il faut se méfier des pensées qui réchauffent, ruse de banquise,

que l'homme s'oxyde,

que dans la nuit mon encre lâchée a un bruissement d'incendie.

D'incertitude en désespérance la voie est au déchirement,

je sais l'accoutumance mélancolique au charme des choses

et des êtres si doux,

mais à l'écart se tient le blé, à l'écart se tient le rite du matin,

à l'écart se tient le cyprès.

Pèlerin, passer de l'écorce à la pulpe, mûrir de sa chair le pain,

presser de son cœur le vin, offrir de sa mort l'éclaircie,

fière agonie au sourire de porphyre.

La lumière souffre, l'eau vivace brûle, suinte de l'oignon éclôt,

en souffrant la lumière fait griller le blé vert et fondre le raisin,

mais la petite rose serrure résiste, se plie, étincelle

et hache dans la clarté un sourire au soleil fêlé.

C'est une nuit d'Hölderlin

ma haine s'enfuit, mon cœur s'alourdit,

des chiens s'enfuient par les rues sourdes,

non, pas des chiens, mais qu'importe

l'amour est morte, la nuit s'en balafre;

les oiseaux s'écroulent sur les notes du piano,

la fenêtre s'entrouvre aux ombres éternelles.

Qui s'est tu? Qu'entends tu?

Son chant brise la nuit.

Elle est là, elle se consume à l'assaut des brumes

ses lèvres de sauges trempées embrasent des mots aujourd'hui

si pauvres.

Elle est là d'écume fugace amante d'ébène

elle est là d'un songe à l'aube, son encolure de cristal,

ses jambes en pendentif,

elle se trouble d'un fouillis de caresses, de schiste,

de métal, d'hélices, de peur et de velours.

Elle se consume, le désir galbe sa chair et délivre sa mort,

ses remords et sa pudeur.

Aveugle je me livre à ses larmes.

 


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